Je suis à la fête du livre de je ne sais plus quelle ville de province. Cloqué derrière la pauvre table à tréteaux mise à la disposition de mon éditeur et de son écurie, je me fais justement cette impression, d'être un tréteau. De temps en temps je dédicace avec un sourire aimable, parce qu'il faut bien l'avouer, c'est agréable d'être un peu reconnu même si je le suis moins que le mec d'en face, trois fois Goncourable, une fois Renaudot (1). Mais grosso modo, la journée se déroule mollement, faut dire que je n'ai même pas le recours ultime au café (J'ai toujours eu horreur du café) ou à la nicotine (j'ai arrêté). Reste l'alcool. Je me pinterais bien en loucedé mais vu la gueule qu'a faite l'attachée de presse quand j'ai posé la canette de bière sur la table, c'est même pas la peine d'y penser. Tant pis pour le Houellebecq style (2).
La journée, donc, se déroule mollement et sur le coup des dix-huit heures, le public qui n'était quand même pas franchement abondant en ce dernier jour de festival, finit par s'évanouir complètement alors qu'une voix grumeleuse annonce qu'il ne reste plus que 10 minutes avant la fermeture du salon et "veuillez payer vos achats et vous diriger vers la sortie". Authentique(3).
Je relève la tête des griffonnages plus ou moins obscènes que j'ai fait sur la nappe en papier de ma table à tréteauxtellement j'en pouvais plus de me faire chier, pour croiser le regard presque hargneux de l'attachée de presse (Elle se nomme Chantal, elle ira loin)(4).
Vaincu d'avance je me lève, ramasse mon manteau en cuir et me prépare à m'en aller d'un pas chancelant(5).
"Tu vas où là ?" me lance Chantal d'un ton franchement agressif.
"Ben...prendre mes affaires à l'hotel, et puis je rentre à Paris" je répond, d'un ton morne.
"Tu n'y penses pas ? Il y a le cocktail pour la fermeture du salon, Frédéric B. sera là et , donc, tous les journalistes également. Allez !"
Avec un geste rageur de la main, j'obéis à son ordre. Je sais même pas pourquoi. Rien que l'idée de croiser Frédéric B., sa coiffure ridicule, son sourire visqueux, ses commentaires faussement laudatifs, et je boue intérieurement. De jalousie, évidemment, c'est notre rêve à tous, écrivains de seconde zone, que d'aller faire les kékés dans les talk-show.Mais aussi de colère pure. Je n'aime pas ce mec, c'est physique.
Dans la pièce où à lieu le cocktail, un nuage de fumée, un brouhaha et une décoration qui me remémore les vins d'honneurs du maire dans notre petit village de C... lors des multiples premières communions de mes nombreux cousins et cousines. Dans un coin de la pièce, les quelques auteurs de B.D.(6) discutent, le verre à la main, joyeusement déconneurs. Je regrette de ne pas être dessinateur, tiens, eux ils ne se sont pas ennuyés un instant. Et dans le tas il y en a au moins un ou deux que j'admire vraiment.
"Ne bouge pas, je vais te présenter Frédéric B.", me glisse Chantal, et je devine sans peine sa joie sadique en la voyant se diriger vers l'auteur à la mode.
Celui-ci affiche un sourire gourmand aux quelques mots de l'attachée de presse (chouette! encore un nouvel auteur à humilier) puis se dirige vers moi, main tendue et sourire avenant.
"Frédéric, je te présente X..." lance Chantal, en omettant d'ajouter une phrase convenue sur mon talent, comme c'ets la coutume.
"Comment allez vous mon cher", embraye Frederic B.
Je le regarde un instant, fait mine de ne pas bien voir la main tendue du cuistre, me gratte le menton d'un air rêveur sous le regard atterré de Chantal, puis me saisit finalement de la main, la secoue vigoureusement et lance : "Ravi de vous rencontrer Monsieur Bidet ! Vous êtes écrivain vous aussi ?".
On se venge comme on peut.
(1) Mais, évidemment, je m'en fous des prix littéraires. Evidemment. J'en aurai probablement jamais en plus. C'est comme l'Académie française. Même pas la peine d'y penser.
(2) Et puis il faut vraiment avoir perdu toutes ses illusions pour le Houellebecq style. Ou alors être trés connu pour pouvoir se le permettre. J'avoue que je ne suis ni dans un cas, ni dans l'autre et que j'ai encore l'espoir de réussir dans l'écriture.
(3) Comme dans un grand magasin. Malheureusement. Et ce n'est d'ailleurs pas le premier salon ou j'entends cela.
(4) Pour peu que, comme je l'ai entendu pérorer la semaine dernière alors qu'elle ne se savait pas écoutée, "Elle réussisse à quitter cette maison d'édition minable et ses auteurs sans ambition".
(5) La chaleur de ces salles de salon pas aérées m'abruti bien plus efficacement q'un pack de kro.
(6) Ils sont six, ils ont passé les trois jours qu'a duré le salon à déconner joyeusement, à picoler, à faire les cons sans passer pour des beaufs, des ptits cons ou des crâneurs.
Commentaires :
Re: AAh , Le monde impitoyable des ecrivains ...
Chère Zelia,
La publication, vous savez...(bon je suis aigri). Et je ne puis tout à fait souscrire à votre discours concernant la pourriture ambiante de TOUS les milieux artistiques. Comme partout on trouve des cons et de spas cons mais ça ne suffit pas à pourrir un milieu, si ?(Et voila que j'me fais moraliste, lapidez-moi). Bon. N'empèche que le titre/éditeur de mon bouquin je ne le donne pas ici ( désolé hum ) d'abord parce que le livre doit être épuisé et que l'éditeur à fait faillite. Ensuite parce que, comme je l'avais déja dit plus tôt dans mon blog, certaines baffouilles ici présentes sont, certes ancrées dans le réel par mille et un petits détails et inspirations, mais néanmoins purement fictionnelles ( lapidez-moi derechef).
Bien à vous,
Taupe.
des fois j'ai rien à dire, mais j'aime que vous sachiez que je suis passée par là (sans taper des saloperies sur Google).
Je suis partante pour vous soutenir dans votre combat "Mettons la honte à Chantal et à Mr Bidet"
Euh en fait ...
...Ben si ....tout bien réfléchi.... j'avais un truc à dire, ...
Suis allée il y a 6 ans la foire du Livre de Bruxelles, dans les mêmes conditions ou presque ... la vedette du jour c'était Réfine Des-forges (j'ai changé le nom pour respecter son anonymat...déjà qu'elle se la pète grave.à
M'enfin j'ai gribouillé une dédicace. Pas à Régine (enfin, Réfine, pardon) mais à un auteur de la même maison d'édition que moi. En fait j'ai acheté son bouquin, il a acheté le mien.
Et c'est comme çà qu'a commencé pour mourir dans l'oeuf, mon ambition de reconnaissance publique. Arrête de me demander "ce que je fous sur le net alors..."
Pardon, taupe, j'ai fait un peu comme chez moi. M'en veuillez pas.
Re: Euh en fait ...
Chère Muchacha,
Je vous en prie, vous êtes ici chez vous. Faites. Et puis c'est un plaisir. Chantal, je vous rassure par ailleurs, est morte des suites d'une mst particulièrement salingue et virulente, ça lui apprendra à être attachée de presse.
Mes amitiés,
Taupe
AAh , Le monde impitoyable des ecrivains ...