Je suis dans le salon de Gras-double, le célèbre hystrion mondain (1). C'est pas que j'adore ça mais on (2) m'a fait comprendre qu'il fallait que je me montre un peu si je voulais avoir la chance d'être un écrivain connu et reconnu. Et puis je suis curieux et c'est toujours une bonne occasion pour picoler à l'oeil.
J'essaie de faire des ronds de jambes devant Gras-double mais j'ai peine à m'imiscer dans la muraille hermétique que forment ses courtisans. Alors pour me donner une contenance je m'acharne sur la bouteille de vodka que, croyant bien faire, j'ai emmené (3).
Appercevant un coin de canapé libre dans un espace peu fréquenté, je vais m'y vautrer en douce. De toute façon personne ne fait attention à moi. Et puis j'ai trop chaud.
Pour avoir l'air a peu prés présentable, j'ai mis un costard noir avec un pull noir à col roulé. Le résultat peu heureux c'est qu'une star montante de la variété française à trouvé trés spirituel de me surnommer "l'homme en noir" , appellation désormais reprise par tout le monde (4), et que surtout je crève de chaud, les appartements de Gras-double disposant d'un imposant système de chauffage.
Du coin de mon canapé j'observe cette petite faune qui piaille, s'agite et se pavane. Je suis aigri, je le sais, ça m'agace profondément de les regarder et de me dire qu'ils ne galèrent pas comme moi pour boucler leur fins de mois, qu'ils ne doivent pas pleurer pour une avance, qu'ils ont l'aisance et la reconnaissance. Et surtout je m'emmerde. A mourir. Encore quelques petites minutes et je me casse. D'ailleurs avec leur chaleur à la con je ne me sens plus trés bien.
Dans un coin de la pièce, j'apperçois le célèbre comique du moment, Billard. Il est célèbre pour ses sorties poujadistes que tout le monde trouve trés "france d'en bas". C'est un des héros de la charge libérale anti-impots. Il est célèbre aussi pour ses sketchs délicieux sur le pet, la branlette et les salopes (5).
Dans un état presque second, je me lève de mon sofa et me dirige vers lui en dérivant fortement. Je fends la petite foule qui l'entoure sans difficulté mais en éraflant tout de même quelques épaules nues au bronzage parfait. En quelques secondes je me retrouve en face de lui, qui lève un sourcil interrogateur.
"Eh Billard, j'en ai une bonne, tout à fait dans ton style".
Deuxième sourcil interrogateur. La foule fendue pousse diverses exclamations qui m'échappent plus ou moins.
Je lui gerbe dessus.
On se venge comme on peut.
(1) Cherche pas c'est un surnom que seuls les initiés connaissent. C'est à dire moi et mon chat.
(2) Tu te souviens de Chantal, l'attaché de presse carrièriste et aigrie ? "On" c'est elle. Que cent maladies véneriennes fondent sur elle et l'emmènent à la tombe, c'est le chatiment que je réserve aux attaché(e)s de presse.
(3) Mal m'en a pris, chez Gras-double on n'emmène pas son boire, d'ailleurs quand il fait salon on boit du thé, du café, du chocolat et de la cocaïne. Boire à cette heure-ci un dimanche ça fait plébéïen. C'est comme ça que je cultive ma différence, moi.
(4) Je ne crois pas que ce soit là le genre de reconnaissance qu'on visait pour moi.
(5) A prendre au second degré, évidemment, l'animal ne pouvant être suspecté de sexisme : il adore les femmes, il en a même une chez lui.
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